Κυριακή 3 Μαρτίου 2013

Μπαντιού 1

Με μεγάλη τιμή, το τιμ σας παρουσιάζει σήμερα την παρέμβαση του ΓΙΓΑΝΤΑ Μπαντιού στη συνάντηση της 10 Ιανουαρίου 2013, που οργάνωσε στο Παρίσι το ελληνικό περιοδικό Αλήthεια και το περιοδικό Lignes. (εδώ μπορείτε να βρείτε και σε βίντεο την εξαιρετική παρέμβαση του ιδίου στην περσινή συνάντηση).

Δεν κάνω περίληψη, αρμόζει να μεταφραστεί ολάκερο.



                        L’inexistence démocratique
                                           Alain Badiou

La situation en Grèce est pour nous tous une sorte de leçon politique à ciel ouvert. 

 
Voilà un pays à la très longue histoire, de portée universelle. Un pays dont la résistance aux oppressions et occupations successives a une particulière densité historique. Un pays où le mouvement communiste, y compris sous sa forme armée, a été très puissant. Un pays où aujourd’hui encore, la jeunesse a donné l’exemple de révoltes massives et tenaces ; un pays où sans doute les forces réactionnaires sont très organisées, mais où il y a la ressource courageuse et ample de grands mouvements populaires. Un pays où existe certes de redoutables organisations fascistes, mais un pays où existe aussi un parti de gauche à la base électorale et militante apparemment solide.

Or, tout se passe dans ce pays comme si rien ne pouvait arrêter l’emprise totale du capitalisme déchainé par sa propre crise. Comme si, sous la direction de comités ad hoc et de gouvernements serviles, le pays n’avait aucune autre voie possible que de suivre les ordres sauvagement antipopulaires de la bureaucratie européenne.

Telle est la grande leçon du moment qui nous invite non seulement à soutenir de toute nos forces le courage du peuple grec ; mais à méditer avec lui sur ce qu’il faut penser et faire pour que ce courage ne soit pas, de façon désespérante, un courage inutile.

 Car ce qui frappe, en Grèce exemplairement, mais aussi bien partout ailleurs, et notamment en France, est l’impuissance avérée des forces progressistes à imposer le moindre recul aux puissances économico-étatiques qui entendent soumettre sans restriction les peuples à la loi nouvelle, quoique aussi bien ancienne, ou fondamentale, du libéralisme déchainé. 

 
Non seulement ces forces progressistes piétinent sans pouvoir se targuer d’un succès, même local, même limité, mais ce sont bien plutôt les forces fascisantes qui grandissent et prétendent diriger, dans le décor en trompe l’œil d’un nationalisme xénophobe et raciste, l’opposition aux diktats des administrations européennes. 

 
Je tiens pour responsable de cette impuissance ce que j’appellerai l’idéologie démocratique, telle qu’elle domine encore largement les esprits et le groupes, y compris les plus contestataires.

L’idéologie démocratique a deux versants appariés. Un versant étatique, et un versant mouvementiste. Le versant étatique se concentre, juridiquement, dans le culte de l’Etat de droit, politiquement, dans le culte des élections. Le versant mouvementiste se concentre, en ce qui concerne la pratique, dans le culte de l’action immédiate, singulièrement du rassemblement dans la rue, voire du combat de rue, comme finalité de la conscience politique ; et en ce qui concerne l’organisation, dans le culte des collectifs ou associations égalitaires particularisés par leurs cibles : collectifs pour les sans papiers, pour l’égalité des femmes, contre le racisme, pour le droit au logement, pour le soutien au peuple grec, contre le réchauffement climatique, pour de nouvelles formes de vie, pour le combat anti-fasciste, et ainsi de suite.

Ce que les deux versants de l’idéologie démocratique ont en commun, c’est l’idée tout à fait fausse selon laquelle l’opinion individuelle, la liberté vivante de chacun, doit être à la racine de l’engagement politique. Elles ont donc aussi en commun le culte des libertés individuelles, notamment de la liberté d’opinion. Dans le cas de l’Etat, cette opinion individuelle libre prend la forme d’un bulletin écrit que, caché dans un isoloir, on met dans une boite. Dans le cas du mouvement, l’opinion prend la forme de l’adhésion circonstancielle et momentanée à tel ou tel mot d’ordre, du droit à « dire ce qu’on veut » dans les assemblées, d’une méfiance envers toute autorité, du mythe de « la base contre le sommet », du mépris de la pensée, des idées et des écrits au nom d’un culte du « concret » et de l’action, et du refus de toute discipline au long cours. 

 
En réalité, l’idéologie démocratique, en tant qu’idéologie des libertés, formelles ou réelles, est l’organisation de ce que j’appellerai une inexistence politique. 

 
C’est particulièrement clair dans le cas de l’idéologie électorale. La prétendue participation populaire à la décision est manifestement une fiction. Puisque le peuple n’a ni les armes, ni l’argent, ni les médias, sa force ne peut être que son rassemblement discipliné autour d’un but défini. Il ne peut compter que sur lui-même, mais ce « lui-même » n’a pas d’existence individuelle. L’atomisation individuelle du bulletin de vote est l’organisation la plus efficace d’une impuissance radicale. On le voit tout particulièrement aujourd’hui, où, en pleine crise, des votes répétés, dans tous les pays, ne font qu’organiser des rotations, sous des noms divers, entre les différentes factions de l’oligarchie contemporaine.

Mais c’est aussi clair dans le cas de l’idéologie mouvementiste, alors même que les mouvements, contrairement aux élections, sont nécessaires, sont bénéfiques, et que nous les soutenons. Mais l’existence de vastes mouvements populaires, si elle est un phénomène historique, ne délivre pas par elle-même une vision politique. La raison en est que ce qui cimente un mouvement sur la base des affects individuels est toujours de caractère négatif : cela peut aller depuis des négations abstraites, du genre « à bas le capitalisme », ou « non aux licenciements » ou « non à l’austérité », ou « à bas la troïka européenne », qui n’ont strictement aucun autre effet que de souder provisoirement le mouvement dans la faiblesse négative de ses affects ; jusqu’à des négations plus spécifiées, parce que leur cible est précise et rassemble des couches différentes de la population, comme « Moubarak dégage » pendant le printemps arabe, qui peuvent en effet obtenir un résultat, mais nullement construire la politique de ce résultat, comme on le voit aujourd’hui en Egypte comme en Tunise, où des partis religieux réactionnaires, sans vraie relation aux mouvements, récoltent la mise. Car toute politique se fait au régime de ce qu’elle affirme et propose, et non à celui de ce qu’elle nie ou rejette. Une politique est une conviction active et organisée, une pensée en acte qui indique des possibilités inédites. C’est du reste pourquoi les mots d’ordre de type « résistance ! » sont certes propres à rassembler les individus, mais aussi à faire que ce rassemblement ne soit qu’une forme joyeuse et enthousiaste d’inexistence politique.

Le péril le plus grave est que s’il s’agit uniquement de résister, et donc de conserver ce qu’on a, on trouvera toujours plus violent que soit dans l’exercice de cette négation. La désignation négative des coupables du changement, alimentée par la nostalgie d’un passé fictif, est la spécialité des groupes fascisants. La crise leur est bien plus favorable qu’aux progressistes, comme on l’a vu dans les années trente. La démocratie, si on la comprend comme mouvement populaire violent dénonçant des coupables au nom de la défense des acquis ou de la tradition, ne fait certes pas peur aux fascistes. Il faut donc bien que la définition politique de l’émancipation soit différente.

Dans tous les cas, se tenir dans l’idéologie démocratique, aussi bien étatique que mouvementiste, crée un déficit politique irrattrapable. C’est que pour exister comme politique sur la scène historique contemporaine, il faut d’abord imposer une vision stratégique. Ce qui veut dire : un système fort d’axiomes politiques, qui commandent un discours unificateur à propos d’une situation déterminée. Ces axiomes doivent être formulés dans un langage clair et aussi univoque que possible, parce que ce sont eux qui font que les acteurs politiques peuvent partager une vision affirmative de ce qui, quelle que soit la situation, est tactiquement possible.

Disons-le tout net : en Grèce aujourd’hui – mais la situation est la même partout -- on peut voir de façon concentrée que l’idéologie démocratique aboutit à des gestes tactiques sans enchainement stratégique. Ce peut être un enthousiasme électoral défait par l’impossibilité, évidente, d’être majoritaire dans un tel mécanisme. Mais ce peut être aussi bien des « mobilisations » pleines de vigueur, mais défaites également par l’absence d’une affirmation commune, d’une Idée partagée du devenir. L’absence aussi d’un langage commun.

On a beaucoup moqué, du temps des vieux communismes, ce qu’on appelait la langue de bois, les phrases vides, les adjectifs ronflants. Certes, certes. Mais l’existence d’une langue commune est aussi celle d’une Idée partagée. L’efficacité des mathématiques dans les sciences tient précisément à ce qu’elle formalise l’idée scientifique. La nécessité de pouvoir formaliser rapidement l’analyse d’une situation et les conséquences tactiques de cette analyse est tout aussi requise en politique. C’est le signe d’une vitalité stratégique.

Aujourd’hui, une des supériorités de l’idéologie démocratique officielle est précisément qu’elle dispose d’une langue de bois parlée dans tous les médias et par tous nos gouvernements sans exception. Qui peut croire que « démocratie », « libertés », « économie de marché », « droits de l’homme », « équilibre budgétaire », « effort national », « peuple français », « compétitivité », « réformes », et ainsi de suite, soit autre chose qu’une omniprésente langue de bois ? C’est nous, militants sans stratégie de l’émancipation, qui sommes en réalité depuis pas mal de temps aphasiques ! Et ce n’est pas la langue de la démocratie mouvementiste qui nous sauvera. « A bas ceci ou cela », « tous ensemble, nous gagnerons », « dégage », « résistance ! », « on a raison de se révolter »…Tout ça peut rassembler un moment les affects collectifs, tout cela est tactiquement très utile, mais laisse entièrement en suspens la question d’une stratégie lisible. C’est une langue trop pauvre pour parler en situation de l’avenir des actions émancipatrices.

Il faut bien dire que ce n’est pas dans la contagion d’un affect négatif de résistance qu’on peut trouver de quoi imposer un recul sérieux aux forces réactionnaires qui visent aujourd’hui à désintégrer toute pensée et toute action qui ne leur est pas homogène. C’est dans le partage discipliné d’une Idée commune et l’usage peu à peu partout répandu d’une langue homogène, d’où résulte que la situation est elle-même éclaircie et que ce qu’il est possible de faire pour la transformer est lisible pour tous.

L’impérialisme, aujourd’hui, ne prend pas la forme de l’occupation coloniale systématique et prolongée. Il prend la forme, à l’aide de la corruption généralisée et d’interventions militaire ponctuelles, de la destruction des Etats qui ne lui conviennent pas, et de la désagrégation des pays qu’il entend piller. C’est ce que je propose d’appeler le zonage, en écho aux « zones franches », qui sont livrées au capitalisme hors de tout contrôle étatique ou politique. Cette politique s’applique progressivement aux pays affaiblis quels qu’ils soient, même situés en Europe. Et même à certaine zones des grands pays impérialistes eux-mêmes, où le peuple est laissé à l’abandon, et souvent livré à l’action du banditisme qui elle-même se recycle dans les grands courants financiers internationaux.

Contre cette forme dégénérée de domination par la décomposition, le morcellement, l’impuissance généralisée et la crise érigée en système, l’idéologie démocratique est et demeurera impuissante, quel que soit le courage de ses actions et la conviction de ses militants. 

 
Je lisais récemment l’article d’un opposant russe à Poutine. Il vantait, comme toute la presse, l’apparition en Russie et en Chine, d’une classe moyenne qu’il déclarait porteuse d’idéologie démocratique. Il vantait cette idéologie sous les deux aspects dont j’ai parlé. La classe moyenne, disait-il, aspire à des élections véritables, non truquées, sincères ; mais elle est aussi capable de manifester courageusement dans la rue et de s’opposer à la police de Poutine. 

 
Mais qu’est-ce que c’est que cette « classe moyenne » ? Notre opposant russe la définit de façon aussi cocasse que véridique. De cette classe moyenne démocratique, il dit, je le cite : « elle consomme et elle est connectée ». Le consommateur acharné casqué d’informatique, tel est le démocrate qui affronte Poutine. Nous reconnaissons là, bien évidemment, le support massif, le support de classe, partout dans le monde, et singulièrement dans le monde occidental, de l’Etat dit démocratique, de l’Etat de droit, de l’Etat dont les fameuses « valeurs occidentales » commandent son droit à intervenir militairement partout où il y a de juteuses matières premières. De ce genre d’Etat, nous voyons jour après jour qu’il est, de façon proprement stupéfiante, le fondé de pouvoir du capital. Ne nous y trompons pas : au-delà du despotisme archaïque de Poutine, notre opposant russe aspire visiblement de tout son être à un tel Etat. Il désire que le capitalisme lui propose une autorité moins despotique, plus consensuelle, et une corruption mieux réglée, dont il pourra participer sans même avoir à s’en rendre compte.

Nous ne devons encourager nulle part, sous prétexte de démocratie, cette tendance de type « classe moyenne », laquelle ne désire, dans les pays dominés ou pillés par des cliques corrompues, ou dans les pays affaiblis par la crise, que de devenir ce que nous sommes déjà, nous, ici, et dont nous connaissons l’infâmie plus secrète, mais plus moderne, plus essentielle.

Pour être fermes sur ce point, l’obligation est de ne pas composer avec les différentes formes de l’idéologie démocratique. C’est à cette fin que je propose de réintroduire, de redéfinir, de réorganiser, tout ce qui dépend du mot « communisme ». Il est aussi très probablement requis de penser aux moyens de créer des formes organisées qui soient directement situées au niveau international. Car le niveau national est très insuffisant pour lutter contre le zonage impérialiste moderne. 

 
Mais n’était-ce pas, exactement, le programme de Marx ? A la lumière du grand mouvement démocratique et ouvrier de 1848, et de sa totale impuissance, il a fondé une première internationale communiste. Le courage du peuple grec et l’inexistence démocratique auquel ce courage est confronté nous convoquent universellement à la même tâche. Quels que soient les mots utilisés par les uns et par les autres, rien n’interdit de penser la réunion et les discussions d’aujourd’hui comme un moment parmi bien d’autres de cette tâche.


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